ARCHIVES
des chroniques de René G. Thirion parues en 2007
dans le Moniteur Francophone de la Boulangerie-Pâtisserie
Artisan, un titre galvaudé !
Je
suis de plus en plus peiné de voir combien le mot artisan est galvaudé
dans notre société actuelle. Hélas, ce n’est pas la direction que prend
le législateur qui veut protéger la notion en considérant qu’il suffit
d’être le patron d’une petite entreprise qui produit quelques articles
pour l’être.
Pour moi, une définition simple qui définit l’artisan est
la suivante :
« c’est
une personne qui exerce pour son propre compte un métier manuel
généralement traditionnel, seul ou avec l’aide de quelques apprentis. Ce
qu’il commercialise est le fruit unique de son savoir-faire, mais
également de sa propre production, faite de manière non standardisée,
non industrielle. Ses apprentis sont sous sa surveillance directe pour
assimiler les règles du métier.».
C’est comme cela que le public le ressent, mais c’est, hélas !, de moins
en moins la vérité. Publicitaires et industriels ont très vite compris
qu’en plus de ne pas être réellement protégés, les termes artisan,
artisanat, artisanal étaient d’excellents supports pour communiquer une
impression de qualité unique au consommateur pour des productions
banales.
Lorsque l’on voit dans un supermarché une étiquette sur un pot de
confiture ou des conserves au vinaigre « produit artisanal », qui peut
garantir qu’elles ont été élaborées et fabriquées par un véritable
artisan et non par une chaine de production automatisée située parfois
dans un pays de l’Est européen ? Comment croire qu’une chaine de grande
distribution va trouver un artisan capable de produire suffisamment pour
alimenter tous ses points de vente ?
C’est le drame des petits viticulteurs qui offrent des vins de qualité,
parfois à des prix compétitifs, mais qui n’auront jamais accès à ces
grands distributeurs parce que leur production suffirait à peine à
alimenter un ou quelques magasins. La réponse à ce problème a été
trouvée par la création de caves coopératives, mais dans ce cas, par
l’assemblage, le produit particulier devient un produit standard.
Mais pourquoi aborder ce sujet dans le Moniteur ?
Simplement parce qu’un boulanger, un pâtissier, un chocolatier, un
glacier indépendant devraient être avant tout de vrais artisans.
Ma
fréquentation du milieu professionnel et certaines confidences que
certains ont parfois bien voulu me faire, me rendent sceptique sur le
nombre réel d’artisans existant encore en Belgique.
Bien sûr, nombre de boulangers ont suivi des études de boulangerie et ne
sont pas de simples exploitants de points chauds approvisionnés par une
boulangerie industrielle.
Mais des raisons de facilité, de coût financier ou simplement de volonté
de diminuer la pénibilité du travail justifient-elles qu’une partie des
produits qu’ils offrent au consommateur sous leur image d’artisan local
soit issue de ces usines de production à la chaîne .
Un
artisan boulanger me confiait dernièrement à la fois sa fierté de faire
un pain unique levé selon une ancienne méthode et cuit au four à bois et
d’utiliser des pâtons surgelés de croissants, ce qui lui facilitait la
vie.
Pour moi, cette manière de faire est contraire à l’esprit qui anime le
vrai artisan.
Comment intellectuellement justifier ce double comportement lorsque l’on
est fier de son métier, souvent amélioré par des années de pratique ?
Comment ne pas être mal à l’aise par l’emploi abusif d’un titre pourtant
largement mérité ?
Dans mes chroniques, j’ai souvent évoqué le combat à mener contre les
grandes surfaces par une différenciation de l’offre. C’est la
particularité du goût offert que l’on gagne des clients. À offrir la
même chose que les autres, l’on est pratiquement sûr à moyen terme
d’être écrasé par les concurrents qui ont plus de capacités financières
pour assurer une communication agressive.
C’est pourquoi je me bats avec force et conviction, à travers tous mes
écrits, pour affirmer et restaurer la fierté de l’artisan. Un respect de
l’éthique sous-tendue par son statut doit lui assurer sinon une
clientèle universelle, des clients attachés à son art (remarquez que la
racine du mot artisan est art) et à sa personnalité.
Les
seuls problèmes qui apparaissent alors sont d’avoir un art réel et une
personnalité suffisamment forte, et de communiquer beaucoup sur ceux-ci
avec ses clients pour assurer la pérennité de leur fidélité.
Voilà le vrai artisan que j’espère, de moins en moins rare, car le monde
a besoin de lui pour conserver la convivialité tant nécessaire à
l’épanouissement de l’humanité renaissante.
juin 2007
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L’artisan et les campagnes collectives de
promotion
Les artisans ont désormais une image très valorisante
dans notre société et sont donc un vecteur à la mode pour essayer de
conquérir des marchés de consommation.
Mais qu’est-ce qu’un artisan, sinon une personnalité
unique, avec de l’intelligence dans les mains et du savoir-faire dans la
tête . C’est ce qu’avait bien compris le pouvoir législatif lorsqu’il
avait créé le registre de l’artisanat, indépendant du registre de
commerce. Mais aucune définition légale n’a été publiée à ce jour,
ce qui en fait un terme galvaudé.
Lors du 10e salon Artisanart qui se tenait fin 2006 à
Bruxelles, la Ministre Laruelle a assisté aux Etats-Généraux de
l’Artisanat et a promis l’étude d’une législation spécifique
reconnaissant le titre.
Mais la question essentielle est bien la qualité
« unique » de chaque artisan. Il peut se faire assister par un ou deux
élèves, leur donner l’apprentissage du métier pour en faire des
« artisans » à leur tour, mais il ne peut pas cautionner le travail
machinal d’ouvriers qui seraient censés le remplacer. Quand je vois des
plats cuisinés surgelés au nom d’un grand chef cuisinier de France ou de
Belgique, mais bien entendu non mitonnés par lui et fabriqués en grandes
séries dans une usine alimentaire, cela me donne des boutons. Les mêmes
que ceux que me donne un « artisan-boulanger » qui utilise des pâtons
surgelés pour faire ses croissants ou ses baguettes.
Que l’on me comprenne bien. J’ai souvent dit que les
boulangeries industrielles et les grandes surfaces offraient des
produits standards certes, mais de qualité. J’accepte également que
certaines boulangeries préfèrent le précuit pour des raisons évidentes
de facilité et de rentabilité. Ce que je ne supporte pas, c’est ce
mensonge flagrant de faire passer un produit manufacturé pour un produit
« fait main ».
Je sais qu’il suffit parfois d’adhérer à des campagnes
promotionnelles de meuneries pour recevoir la parfaite petite panoplie
marketing de l’Artisan reconnu, avec autocollants et prospectus. Je sais
aussi que dernièrement les producteurs wallons ont promotionné l’emploi
de beurre dans le domaine de la boulangerie-pâtisserie par le biais de
l’APAQ-W, ce qui me ravit, moi qui aime les produits du terroir. C’est
vrai. Pourquoi ne pas utiliser de bons produits de chez nous ?
Mais lorsque cette promotion s’accompagne d’une adhésion
à une charte d’artisan, cela devient ridicule. Pourquoi un « vrai »
artisan n’emploierait-il que du beurre ?
De plus, ces chartes se sont retrouvées jusque dans des
dépôts de pain. Bien sûr, la boulangerie qui les desservait, respectait
peut-être l’emploi du beurre, mais n’était certainement plus artisanale,
au sens premier du terme. Ce qui fait que j’ai reçu des coups de
téléphone de boulangers artisans sincères qui se plaignaient de cette
concurrence qu’ils estimaient déloyale puisque que cette charte les
mettait sur le même pied que n’importe quel terminal de cuisson.
J’ai bien été obligé de leur rappeler que le terme
« artisan » n’était pas protégé et encore moins celui d’« artisanat » et
qu’à part manifester leur mécontentement, il n’avait pas grand-chose à
dire.
La seule manière de marquer son engagement à la
fabrication artisanale est de créer sa propre charte qui mettra en avant
toutes les qualités de cette production individuelle dans son atelier.
C’est aussi la création d’un certificat de garantie qui indique au
client qu’il a bien acheté le produit qu’il désirait.
Ne croyez pas que c’est impossible. Faites-vous aider par
un conseil en marketing et faites-les réaliser par un graphiste
indépendant. Bien en vue, présentées de manière attractive et claire et
surtout unique, la charte et la garantie seront un rappel constant à
votre client pour quoi il vous a choisi et qu’il vous préfère.
Car c’est par l’adhésion à votre manière de faire que
vous fidéliserez votre clientèle.
Car c’est en respectant les engagements pris que vous
augmenterez sa confiance en vous et en votre production.
Pour les artisans, il n’y a que quelques règles simples
à respecter pour réussir :
faire de la qualité,
se différencier des autres,
et communiquer sa passion pour le produit.
Bien sûr, votre prix de vente sera un peu plus élevé,
mais il y a une forte évolution qui se fait chez le consommateur vers
cette qualité tant désirée, loin de la production de masse.
L’augmentation régulière des aliments bio en est une des preuves
évidentes, mais également la tentative des industriels d’utiliser
abusivement cette image pour augmenter leurs ventes. Danone a été obligé
de signaler que sa marque « Bio » ne relevait pas de l’agriculture
biologique. Espérons que l’on verra de moins en moins la mention
« produit artisanal » sur certaines marchandises qui sont tout sauf
artisanale.
mars 2007
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Mais où est le plan Marshall pour les artisans et
petits commerçants ?
La
survie et le développement des petites entreprises passent par une
pression moins forte sur l’être humain qui entreprend à petite échelle
le sauvetage de notre économie nationale.
J’ai
beau donner tous les conseils marketing possibles et imaginables et mes
lecteurs peuvent les appliquer avec conviction, rien n’empêchera leur
difficulté tant que les pouvoirs publics ne prendront pas en compte le
déséquilibre abyssal existant entre un petit commerce et les grands
groupes financiers qui créent et exploitent les hypermarchés, les
supermarchés, les hard discounters et les chaînes internationales de
distribution.
Alors que le petit commerçant doit se débrouiller tout seul (ou avec des
aides extérieures coûteuses) pour se battre contre l’administration
toute puissante et inflexible et contre ces groupes qui, grâce à leur
taille, leur organisation et leur pouvoir d’achat, ont tous les moyens
humains et matériels pour s’insérer dans une société ultra
réglementaire.
Car
il ne faut pas se leurrer, les normes d’hygiène sont plus faciles à
observer pour les grosses entreprises que pour le petit artisan. La
comptabilité et la défense fiscale ne leur posent aucun problème. Ils
obtiennent leurs marchandises et leurs services à des prix beaucoup plus
bas et bénéficient de conditions de paiement ultra laxiste. Lorsque l’on
sait que le stock de certains produits alimentaires tourne au moins une
fois par semaine, ce qui n’empêche nullement de demander des délais de
paiement allant parfois jusqu’à 120 jours. À se demander si les
principaux actionnaires de ces groupes ne sont pas les fournisseurs,
bien qu’eux ne sont pas rétribués pour la mise à disposition du capital.
Au contraire, l’on ampute encore leur marge bénéficiaire de
participation (payantes) à des publications de folders ou des locations
de têtes de banc.
Et
notre législateur dans tout cela. Il considère pratiquement les deux
canaux comme égaux , avec toutefois une préférence pour les grandes
entreprises. Elles obtiennent des facilités à l’embauche qu’aucun petit
indépendant n’aura.
C’est normal, vous dira-ton, elles sont consommatrices de main d’œuvre
et concourent par ce fait à la résorption du chômage. Nos politiques
oublient-ils que tous les indépendants ne coûtent rien à la communauté ?
Ils investissent leurs quelques sous dans leur entreprise, ils gagnent
seuls tous les jours sans rien demander à l’État Providence, le pain qui
les fera vivre, eux et leur famille. Ils paient des taxes et des impôts.
Et les quelques personnes qu’ils peuvent employer les font devenir les
principaux employeurs de Belgique par le nombre qu’ils représentent.
Il
serait donc temps à l’aube des prochaines élections de poser le problème
de restructurer complètement la vision de la vie économique de notre
pays et de rendre au citoyen la possibilité d’entreprendre en étant
protégé de ces grands prédateurs.
Veut-on vraiment supprimer la classe moyenne dans ce pays ?? Pourquoi
des politiciens ne stigmatisent-ils pas plus cette inégalité entre le
citoyen et les groupes financiers ?
Je
sais que je vais m’attirer des remarques des lecteurs politiquement
corrects qui vont parler des intérêts supérieurs de la région et je leur
répondrai ce qu’ils ne veulent pas voir ou entendre. Il est fini le
temps des grands ensembles industriels dans notre pays. Terminé le temps
des FN, Cockerill ou ACEC qui accueillaient des dizaines de milliers de
travailleurs bien payés. Celui des charbonnages est encore plus loin.
Nous
revenons à l’échelle d’une petite patrie à l’époque du mondialisme. Nos
compatriotes doivent continuer à vivre et donc à travailler. Et comme
l’époque heureuse des industries lourdes est terminée, il faudra bien
que nous puissions recréer un tissu économique et social apte à leur
permettre de vivre, tout simplement à l’échelle humaine.
Il
devient donc urgent, pour ne pas dire urgentissime, de créer des États
Généraux du redéploiement des petites et libres entreprises pour lui
donner l’espace nécessaire à la reconstruction du tissu associatif
qu’elles favorisent.
Il
devient indispensable de leur créer un cocon législatif où les contrôles
sanitaires, administratifs et fiscaux soient allégés au maximum.
Il
est fou d’en arriver à vouloir le respect de normes qui nécessitent des
investissements impossibles pour la taille de l’entreprise. Il est
également insensé de mobiliser des forces considérables pour déceler une
fraude à son échelle tant au niveau fiscal que de la TVA qui ne peut
qu’être dérisoire.
Je
sais que l’on va me rétorquer que les petits ruisseaux font les grandes
rivières et que la propreté est indispensable à l’hygiène de la
fabrication des métiers de bouche. À ceux-là, je répondrai que dans le
cas des petites entreprises que leur impact est purement local et que
cela constitue une auto régulation. Le client voit dans quelles
conditions son boulanger travaille, mais ignorera celles des usines
lointaines, parfois est européennes, asiatique ou africaine, qui
fabriquent les produits pour les grandes distributions.
Alors se pose la question du titre de cette chronique à quand un plan
Marshall pour les petits commerçants et les artisans ?
Le
vrai plan Marshall, celui de 1947, fut lancé par le Général de ce nom
pour combattre la détresse et la désolation, au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, qui régnaient en Europe. Partout l’on
trouvait misère, chômage et faim. Les sans-logis se comptaient par
millions.
En cette année 2003, où
les petits patrons voient leur outil de travail disparaître, face à des
concurrences injustes, ne serait-il pas temps d’endiguer ce qui peut
devenir un véritable séisme économique et social en rétablissant un
équilibre entre les puissants et les autres !
février 2007
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