ARCHIVES
des chroniques de René G. Thirion parues en 2005
dans le Moniteur Francophone de la Boulangerie-Pâtisserie
Un bon artisan doit être
un bon commerçant
Le pain est ancien comme le monde et des générations
d’artisans se sont transmis le savoir-faire de cet aliment,
indispensable dans notre civilisation. J’ai donc plaisir à commencer
cette chronique par une citation presque aussi ancienne que lui. Le
fameux Diogène, philosophe grec de l’an 400 avant Jésus-Christ, disait
déjà « Le commerçant qui ne fait pas de réclame, ressemble à un homme
qui aurait acheté une lanterne, mais serait trop avare pour payer la
chandelle ».
Mais demanderez-vous, un artisan est-il vraiment un
commerçant ? Ne serait-ce pas plutôt un manuel aux dons artistiques, un
créateur d’œuvres originales ? Aucune fournée, bien que pétrie de la
même manière, ne donne le même résultat et seule l’expérience permet
d’évoluer dans la maîtrise du geste et de la matière.
Un commerçant ne serait-il pas plutôt un intellectuel
terre-à-terre, toujours à l'affût des faiblesses de l’autre pour
augmenter son avoir ? Qu’importe la marchandise vendue, pourvu que le
son du tiroir-caisse retentisse . Investir et se battre pour améliorer
un produit ne vaut que si sa vente augmente et ainsi le bénéfice.
Pourtant si le commerçant, et j’entends par là celui qui
a le don de vendre et non celui qui sert ce que le client veut bien lui
acheter, n’a aucun besoin d’être un créateur, l’artisan lui a besoin
d’être un vendeur.
Comment pourra-t-il exercer son métier si l’argent vient
à manquer ? Comment pourra-t-il trouver des amateurs s’il n’arrive pas à
les convaincre que ses produits sont originaux, de qualité et
spécialement conçus pour les satisfaire pleinement .
Les satisfaire pleinement, voilà ce que beaucoup
d’artisans oublient, simplement par autosatisfaction, par manque
d’écoute, par vanité. J’ai connu de bons cuisiniers, devenus
restaurateurs, qui ont fait faillite malgré leur art gastronomique.
Imbus de leur personne, ils préféraient voir leurs clients quitter leur
salle plutôt que de s’adapter à leurs demandes.
Pour être un bon artisan, il faut donc être un excellent
commerçant et c’est là que le bât blesse. Les cours suivis par les
artisans sont souvent entièrement orientés vers la maîtrise du
savoir-faire, laissant peu de place aux notions de communication et de
vente. Faire du bon pain, c’est bien, mais le faire savoir, c’est mieux.
Et encore. Le goût est avant tout une histoire
d’éducation. Donc, il faudra l’éveiller et le cultiver chez le client.
C’est de la communication pure. Mais comment moi, artisan, vais-je
pouvoir communiquer alors que je n’ai pas fait d’études sur le sujet,
que je ne suis ni littéraire, ni publicitaire, me direz-vous ?
Parce que la communication, même codifiée, est
essentiellement un dialogue entre deux personnes et que dans ce cas, le
cœur et la passion sont de bien meilleurs éléments que l’intelligence et
la technique.
Si vous êtes un vrai boulanger, vous possédez le cœur et
la passion pour ce que vous faites, ce qui vous donne une force de
conviction dans vos échanges avec vos clients qu’aucun professionnel de
la publicité n’égalera jamais.
La seule entrave à une relation commerciale se situe donc
dans votre manière d’être. Pour avoir un dialogue, il faut être deux.
Devenez plus sociable. Prenez le temps de parler, d’expliquer pourquoi
vous faites ce métier et comment vous améliorez sans cesse votre
pratique. Vous ne devez pas attendre le client, mais aller vers lui.
Passer votre temps à l’atelier, c’est bien, mais le partager avec le
magasin, c’est mieux..
Soyez sûr qu’aucune autre personne ne saura jamais
communiquer comme vous, à moins qu’elle ne partage votre travail et
votre passion. En étant comme cela, ouvert aux autres et à leurs
demandes, rappelant sans cesse la qualité de votre travail et ce qui le
différencie de celui des autres, en prenant une place bien réelle dans
la vie sociale de votre clientèle, vous ne pouvez que réussir.
Mais à cette qualité humaine doivent se combiner des
qualités commerciales. Gardez toujours en tête que la survie de votre
boulangerie dépend de sa santé financière et que tout travail bien fait
mérite une juste rétribution.
Je conseille quelques boulangers et j’ai constaté
combien ils sont sensibles et frileux par rapport au marché. La
libéralisation du prix du pain en est l’exemple. La plupart me disent
voir leur marge bénéficiaire diminuer fortement suite à de nouveaux
coûts engendrés par de nouvelles législations et aux différentes
augmentations des matières et notamment du mazout. Mais aucun n’ose
adapter le prix de vente de son pain. Tous attendent un accord général
sur cette nécessaire réévaluation du prix qui ne viendra jamais puisque
la loi interdit une entente monopolistique.
Et pourtant, si le client est un fervent consommateur de
leurs pains, si le boulanger justifie la différence (et le client peut
comprendre, tout augmente !), il restera fidèle. Encore une fois, tout
est dans les rapports affectifs entre l’artisan et ceux que j’oserai
appeler ses partisans.
Le prix est élément secondaire lorsque la clientèle est
fidélisée à un goût et à un service. Et c’est tant mieux pour le bon
artisan, car qui résistera aux pâtons surgelés fabriqués dans les Pays
de l’Est à faible prix de revient, compte tenu des conditions salariales
et fiscales y régnant. Séduit, par le prix d’achat et probablement le
prix cassé à la vente, il sera difficile à la grande distribution de ne
pas s’orienter vers cette offre nouvelle, creusant encore plus la
différence entre elle et la boulangerie artisanale.
La conclusion est que l’artisan, s’il le veut vraiment,
sera le meilleur commerçant du monde lorsqu’il ajoutera le souci
d’offrir ce qu’il a de meilleur, à celui de faire d’avoir une bonne
rentabilité.
« Les gens généreux font de mauvais commerçants » a écrit
Honoré de Balzac. Je ne puis être d’accord avec cette citation. La
générosité est nécessaire pour la réussite du bon commerce comme l’amour
est nécessaire à la réussite du mariage parfait.
novembre 2005
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Souvenirs de vacances
Cet été,
j’avais loué un mas à Condorcet, petit village provençal situé à sept
kilomètres de Nyons, capitale française de l’huile d’olive. Bien
entendu, je n’ai pas l’intention de vous conter par le menu, ni les
dégustations de Côtes du Rhône que j’ai fait avec grand plaisir dans les
caves, ni de vous parler des merveilleux paysages qu’offrent au touriste
la Drôme provençale.
Mais, à
cinq cent mètres de la propriété sur la route nationale, se trouvait une
petite boulangerie et vous vous devinerez aisément que j’aimerais vous
faire partager les découvertes que j’y ai faites. Bien sûr, j’ai
sympathisé de suite avec le patron boulanger dont la spécialité était la
fabrication de pains biologiques et je dois dire que j’ai été
directement séduit par sa vision marketing.
C’est
vrai que les aliments de qualité bio affirment de plus en plus leur
existence sur le marché et qu’ils séduisent les consommateurs les plus
attachés aux valeurs traditionnelles. C’est également vrai que la
plupart d’entre eux s’intéressent au travail de l’artisan.
Et le
patron me l’a confirmé. S’il profite l’été de la présence des touristes
(mais n’exagérons rien, ce village ne peut être comparé à Saint-Tropez
ou à Biarritz), il bénéficie aussi d’une clientèle fidèle qui vient de
Nyons et de l’arrière-pays nyonsais, malgré la présence de grandes
chaînes de distribution qui vendent un pain industriel à des prix
cassés.
Évidemment, il met en valeur les qualités de ses pains : au levain,
pétris artisanalement avec des farines sélectionnées, cuits au four à
bois et garantis bio.
Je ne
veux pas entrer ici dans la querelle bio ou agriculture raisonnée. Mais
ce qui m’a frappé c’est la communication importante qui accompagne le
travail de cet artisan.
Au dessus du comptoir, un immense panneau rappelant les
caractéristiques et la garantie de ses fabrications. De plus,
chaque nouveau client reçoit un prospectus expliquant ce que
sont ces pains. En voici le texte in extenso :
« Les
pains de qualité bio sont riches, variés et naturellement
savoureux.
Un pain bio est un pain de grande qualité fabriqué dans le
respect
du cahier des charges de l'agriculture et de la transformation
biologique
et contrôlé par un organisme certificateur indépendant, agréé
par le ministère de l'Agriculture. Cela signifie que les farines
ou levains
utilisés pour sa fabrication sont issues de céréales biologiques,
cultivées sans utilisation de pesticides ou d'engrais chimiques
de synthèse. Le pain bio est le seul garanti sans OGM
(Organismes génétiquement modifiés). |
|
Il existe une grande variété de pains bio pour satisfaire tous les
goûts :
de la baguette au pain complet,
différentes farines et différentes
moutures (blé, seigle, orge, avoine, épeautre) peuvent
être
utilisées. D'autres ingrédients
comme des noix des céréales, du sésame ou du pavot peuvent être ajoutés
pour enrichir le pain et élargir
l'offre de goûts.
Les pains bio sont souvent semi-complets ou complets. Les pains
complets ont l'avantage d'être très riches d'un point de vue
nutritionnel,
car ils sont élaborés à partir de farine complète qui contient tous
les éléments du grain. Ils offrent des teneurs supérieures en minéraux
et vitamines. De plus, des études scientifiques montrent qu'un
pain complet bio a aussi l'avantage de contenir plus de magnésium,
de phosphore et d'acides aminés.
Si manger du pain bio est bon pour la santé, c'est aussi un acte de
consommation qui contribue à la
protection de l'environnement. »
|
Mais cet artisan boulanger, pour être cohérent dans la qualité
qu’il offre au client s’est également adjoint la collaboration
d’un Maître Pâtissier. Et là aussi, j’ai été agréablement
surpris.
Comme je suis commandeur de la Commanderie des Costes du Rhône,
je suis invité à dîner chez de nombreux viticulteurs et je
trouvais qu’il valait peut-être mieux offrir à la maîtresse de
maison autre chose que des fleurs qui sont tellement nombreuses
en Provence. J’ai donc opté pour des gâteaux et là, c’est la
découverte. Chaque boîte en carton est un véritable bijou. Les
illustrations en couleurs laquées sont somptueuses.
|
Quel plaisir d’amener un gâteau de qualité dans un emballage
festif ! Quelle joie de partager après le repas un dessert
délicieux ! Et j’ai commencé à rêver… Pourquoi ne pas lancer une
campagne pour mettre en avant la pâtisserie comme cadeau à
offrir à l’hôtesse de maison ? Si la boîte est magnifiquement
décorée de fleurs et devient un écrin pour le ou les gâteaux,
les ventes devraient suivre surtout si la corporation lance une
publicité régionale.
Mais, me disait un de vos confrères, l’emballage risque de
coûter cher ! Bien sûr, mais il ne servirait pas pour les ventes
courantes. Et puis ce serait une nouvelle image pour l’artisan
pâtissier et sa production. Le ballotin fait vendre des
pralines, les cornets et coffrets des dragées, ce nouvel
habillage fera vendre des gâteaux, c’est inévitable pour autant
que la communication se fasse correctement. Cela pourrait
devenir même une mode. |
|
Pour le spécialiste marketing, l’emballage, le « packaging » comme il
aime à dire, prend une part importante dans la décision d’achat.
Pourquoi les pâtissiers s’en priveraient-ils alors que les fabricants de
gâteaux secs industriels utilisent même des boîtes métalliques
décorées ?
Mais la conclusion importante que je tire de cette rencontre estivale
sympathique est que il ne suffit pas d’être artisan, mais il faut le
dire, il ne suffit pas de faire de bonnes choses, mais il faut expliquer
pourquoi elles sont bonnes et enfin, il faut habiller le produit pour
que son image soit positive.
Et, comme je dis et répète que l’image que le client perçoit et emporte
est extrêmement importante, je voudrais terminer par un petit conseil
pratique, facile à appliquer.
Dernièrement, dans une boulangerie très bien tenue, il m’a été rendu un
billet de cinq euros qui devait être passé par les mains pleines de
cambouis d’un mécanicien et donnant l’impression de sortir d’une
poubelle. Quel désastre visuel pour le client !
Prévoyez donc dans votre tiroir-caisse, un endroit pour y déposer les
billets de banque trop usagés ou, plus important encore, trop sales que
pour être tenu par la main d’une boulangère et rendu au client. Il vous
sera simple de les échanger par la suite chez votre banquier. Mais que
l’argent manipulé par vous ne détruise pas tous les efforts que vous
avez accomplis pour donner une image d’hygiène et de fraîcheur à votre
boulangerie.
octobre 2005
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Le téléphone,
merveilleux outil de promotion et de communication
Tout
boulanger ou pâtissier a un téléphone dans son magasin.
Il
peut être un merveilleux outil de promotion et de communication mais il
peut aussi se révéler un engin diabolique démolissant sans pitié l'image
que le commerçant a mis longtemps à construire. Il donne une impression
d'absence ou de négligence si le temps de réponse est trop long,
énervant ainsi les clients qui attendent dans le magasin pour être
servis. La prise de la communication téléphonique dans le magasin se
fait directement au détriment du travail de la vendeuse sans cesse
interrompue et place le client présent en position d’attente
inconfortable en plus derrière un client virtuel, confortablement
installé dans son fauteuil, lui !
Que
faut-il pour que l’utilisation du téléphone soit positive au lieu d'être
négative pour l'entreprise?
Commençons par la prise de communication. Un petit peu de prévoyance et
d'attention suffisent.
Lorsque l'on décroche le combiné, un «pâtisserie Cébon. Bonjour.
Que pouvons-nous faire pour vous?» sera nettement supérieur à «Allô?»,
«C'est qui?» ou encore «Ouais?».
Comment attraper cet automatisme à chaque communication? Simplement en
affichant en grand le texte que vous aurez choisi sur le mur, juste en
face de l'appareil. Ce sera un rappel constant puisque vos yeux se
porteront automatiquement chaque fois sur lui.
L'exercice peut encore être amélioré en prévoyant des paragraphes
spéciaux selon les types de personnes qui appellent.
Par
exemple
-
pour les fournisseurs: «Je vous remercie de m'appeler mais
pour avoir ma commande, vous pouvez me sonner tel jour de ... à ...
heures»;
-
pour les amis: «Je suis heureux de t'entendre. J'ai du monde
en magasin. Donne-moi ton numéro et je te rappellerai dès que je serai
disponible»;
-
pour les propositions de publicité, de prospection: «Je sers
mes clients et n'ai pas le temps d’examiner votre proposition
maintenant. Voulez-vous me l'envoyer par écrit avec vos coordonnées? En
cas d'intérêt, je vous recontacterai rapidement».
Si
vous estimez, et je ne puis que vous y encourager, que votre client au
comptoir a priorité absolue sur le téléphone, il existe maintenant des
répondeurs qui donnent un message du style «Vous êtes bien à la
pâtisserie Cébon. Actuellement, nous servons un client. Pourriez-vous
avoir l'amabilité d'attendre? Nous allons prendre votre appel dans
quelques secondes». Ce message sera suivi d'une musique douce
d'attente.
Certains appareils peuvent enregistrer les communications. Ils peuvent
même prendre les commandes.
Dans ce cas, le message sera le suivant: «Vous êtes bien à la
pâtisserie Cesbon. Nous servons actuellement nos clients. Aussi, c'est
un répondeur téléphonique qui vous répond. Après le bip sonore, vous
pourrez laisser un message. Nous vous recontacterons dès que possible.
Au cas où vous n'aimeriez pas répondre à cet appareil, vous pourrez nous
contacter directement au même numéro de ... à ... heures ».
En
changeant les messages, il devient possible de répondre même pendant les
jours de fermeture et de vacances annuelles: «Vous êtes bien à la
pâtisserie Cébon. Le jeudi est notre jour de fermeture hebdomadaire,
aussi c'est un répondeur téléphonique qui vous répond. Après le bip
sonore, vous pourrez laisser un message. Nous vous recontacterons dès
que possible. Au cas où vous n'aimeriez pas répondre à cet appareil,
nous serons à nouveau à votre service dès demain 8 heures ». Ou
encore « Vous êtes bien à la pâtisserie Cesbon. Nous sommes fermés
pour cause de vacances annuelles jusqu’au …. Dès notre retour, nous
serons heureux de vous servir à nouveau ».
Téléphone moyen de
communication soit, mais de promotion?
Il
suffit d'un peu de temps libre, d’une ligne téléphonique et d'être prêt
à accepter une dépense publicitaire peu coûteuse. La gentillesse et
l'imagination sont plus importantes pour l’artisan que des gros moyens
financiers.
Prenons le cas de madame Cébon. Tous les après-midi, elle dispose d’une
heure de libre. Elle sélectionne quelques noms de clients potentiels
trouvés dans l’annuaire téléphonique résidant dans dans son quartier
(zone de chalandise) et forme les numéros de téléphone choisis.
L'entretien pourrait ressembler à ceci:
«Allô
madame Jachette, bonjour. Je suis madame Cesbon, rue de la Bonne Vente,
à deux pas de chez vous.
Vous connaissez
certainement ma pâtisserie. J'espère que nous avons déjà eu le plaisir
de vous servir.
Nous sommes très fiers de la qualité des gâteaux que nous fabriquons
artisanalement avec le plus grand soin et nous serions heureux de vous
offrir gratuitement un "éclair à la crème fraîche", sans aucune
obligation d’achat pour vous rappeler la qualité unique que nous
fabriquons pour nos clients.
Passez cette semaine au magasin et donnez-nous votre nom et nous vous
le remettrons gratuitement sans aucune obligation d'achat. Bien sûr, si
notre gâteau vous a séduite, nous serons heureux de le savoir en vous
revoyant chez nous. N'oubliez pas de passer. Nous vous attendons
».
Utopie me diront certains. Pourquoi? Quelle magnifique promotion, simple
et humaine et quelle occasion d'avoir aussi parfois des réponses
négatives, avec des motifs justifiés ou non, qui permettront de corriger
l'image de l'entreprise.
Son
coût? Un peu de temps libre, quelques communications et quelques éclairs
à la crème fraîche. Mais quel contact ! A des années-lumière des
dépliants en quadrichromie sans âme des grandes surfaces.
J'espère qu'à la lecture de cet article vous aurez compris toute
l'importance de la communication orale et de la facilité de la créer par
le téléphone. Les quelques suggestions n'ont qu’une valeur de
démonstration et ne sont nullement limitatives.
Donnez libre cours à votre créativité. A une époque où des moyens
financiers importants sont consacrés au décor du commerce, il serait
dommage d'oublier cet appareil devenu tellement habituel et commun, que
l'on ne pense plus aux possibilités extraordinaires qu’il offre pour des
contacts simplement humains.
septembre 2005
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Un
si jolie petite boulangerie
Depuis quelques jours, j’ai du bonheur dans la maison,
mais aussi dans le cœur.
Dans la petite ville que j’habite, il y a un certain
nombre de boulangeries que je fréquentais qu’au hasard des trajets.
Aucune ne me semblait mauvaise, mais aucune ne m’enthousiasmait au point
de faire un détour pour m’y approvisionner. Comble du comble, pour
l’ardent défenseur de l’artisan que je suis, il m’arrivait même parfois
d’acheter mon pain dans la grande surface où je faisais mes courses de
fin de semaine.
Or, il y a quelques semaines, une boulangerie du
voisinage fut reprise par un jeune couple. Je fus informé par une
annonce parue dans le journal toutes-boîtes de ma région. Je l’ai
parcouru comme à l’habitude d’un regard distrait, mais l’annonce était
bien faite, parlait d’artisanat et le nom du nouveau magasin était
évocateur et parlant, « De mon plaisir » (le nom a été changé,
mais est de la même inspiration).
Je n’y accordai qu’une importance relative. Mais quelques
jours plus tard, passant devant sa vitrine, j’entrai acheter un pain et
là… surprise !!
Bien qu’il n’y avait pas eu de grandes transformations, le magasin
semblait plus clair, mieux achalandé en pâtisserie. Les gâteaux étaient
variés et tentateurs, les pains étaient superbes. Mais mieux encore, des
affiches vantant la qualité de Boulanger Artisan ornaient les étagères.
Des prospectus en quadrichromie étaient sur le comptoir, à disposition
des clients, expliquant ce qu’était vraiment un Boulanger Artisan.
« Moi, Artisan Boulanger, je sors chaque jour de mon
four ce qu’il y a de meilleur pour vous ! » était l’attaque du texte. Je
ne puis m’empêcher de vous donner la suite in extenso, bien que vous
connaissiez probablement déjà ce document, imprimé pour ses clients par
une meunerie qui a eu là une initiative intéressante.
"Cher Client, J'aimerais ici m'adresser à vous personnellement. En
effet, j'ai quelque chose d'important à vous dire. Dès à présent, vous
pouvez donc m'appeler votre Artisan Boulanger. Et je considère cela
comme un titre de noblesse, ni plus, ni moins. Car un Artisan Boulanger
est un boulanger tout feu, tout flamme pour son pain et pour ses
clients, un boulanger qui s'engage à sortir chaque jour du four ce qu'il
y a de meilleur pour vous... En tant qu'Artisan Boulanger, je souscris à
6 garanties importantes. Par souci de simplicité, je les appellerai «
les 6 commandements de l Artisan Boulanger » :
1.
Je vous propose chaque jour du pain de ma propre fabrication,
fraîchement cuit à partir d'une pâte confectionnée par mes soins.
2.
J'opère chaque jour une sélection d'ingrédients triés sur le volet,
synonymes pour vous de garantie de produits de boulangerie alliant haute
valeur nutritive et saveur puissante.
3.
Je vous propose chaque jour un choix parmi le riche assortiment de
pains, de types et de formes variés, qui puissent répondre à vos goûts,
vos préférences et vos besoins.
4.
Je m'engage à toujours observer de bonnes règles d'hygiène dans mon
travail.
5.
Je me tiens chaque jour à votre service, avec tout le zèle et le
dévouement que vous pouvez attendre d'un homme de métier soucieux de sa
clientèle.
6.
Je ne travaille qu'avec des fournisseurs qui partagent ma philosophie en
matière de qualité et se portent garants de la qualité supérieure de
leurs ingrédients et produits.
Je
pris un de ces prospectus,
achetai mon
pain et ne pus résister à des croissants feuilletés qui étaient
admirablement gonflés et dorés. En me servant, la boulangère me prévint
qu’au lieu des quatre croissants commandés, elle m’en mettait six pour
le même prix parce qu’ils étaient petits. Dans mon esprit, deux
constatations s’imposèrent, les croissants étaient bien fabrication
maison (au lieu de ces pâtons surgelés que l’on trouve de plus en plus,
même chez de vrais boulangers) et elle était honnête puisqu’elle aurait
pu se contenter d’encaisser sans m’ajouter quoi que ce soit. Je sortis
du magasin, accompagné d’un sourire qui valait dix mille fois « le
sourire de la crémière en plus », slogan mensonger d’une grande chaîne
de distribution.
Une semaine plus tard, je devais acheter le gâteau
d’anniversaire de ma femme et tout naturellement je décidai de le
commander dans cette pâtisserie. Ce que j’y avais acheté m’avait paru si
bon que j’eus envie de lui faire à nouveau confiance. L’accueil et la
prise de commande furent de la qualité de ma première visite. Je fus à
nouveau frappé par le sourire et la gentillesse de la dame qui servait.
Je suppose qu’il s’agit de la patronne, ou alors le patron a mis la main
sur une perle rare. Le gâteau consommé, je devins un client fidèle et
n’achète désormais plus mon pain que là, sauf impossibilité.
Pourquoi vous narrer cette découverte ? Pour plusieurs
raisons dont deux particulièrement importantes. N’étant pas du métier,
mes réactions sont probablement les mêmes que celles d’une bonne partie
de la clientèle et sont donc une indication de son comportement
probable. La deuxième réside dans le fait que ce jeune boulanger
pâtissier met en pratique tout ce que je préconise depuis des années
dans le Moniteur Francophone de la Boulangerie-Pâtisserie.
Les pains et les gâteaux qu’il offre sont-ils nettement
supérieurs à ceux de ses concurrents ? Là n’est pas la question. J’ai
simplement une sympathie naturelle pour tout ce qui entoure son produit
qui m’incline à apprécier son travail et c’est cela la valeur ajoutée
que devrait avoir chaque artisan.
Plus je fréquente son établissement, plus je suis frappé
par son sens marketing et commercial. À chaque fois, je pars avec un
achat non prévu, mais qui me donne une grande satisfaction. Un jour, ce
sont des plateaux couverts de gaufres aux fruits sortant du four qui se
trouvent à portée de la main du client sur le comptoir. Le lendemain,
les gaufres aux fruits sont remplacées par des gaufres de Liège tout
aussi fraîches. Comment résister ? Comment ne pas se faire un plaisir
non programmé ?
Autre stratégie de présentation, dans le comptoir vitré
de nombreux gâteaux différents sont exposés. Il n’y en a que trois ou
quatre de chaque sorte, mais le choix est important. Et, miracle, mais
peut-être a-t-il lu mes chroniques, chaque gâteau a une étiquette en
carton triangulaire d’une blancheur éclatante portant son nom écrit en
lettres rondes et lisibles.
Tout cela me conforte dans l’idée qu‘il y a un avenir
pour tous ceux qui pratiquent leur métier avec goût et passion et
respectent les règles élémentaires du marketing à usage de l’artisan. Le
seul contact valable entre le produit et son consommateur passe par lui.
Aussi doit-il veiller à mettre tous les atouts dans son jeu pour que son
travail se pare d’une connaissance, d’une habileté et d’un art qu’aucune
industrie de masse ne pourra jamais donner.
Que ceux qui, au cours des années, ont oublié ces règles
essentielles par fatigue, facilité ou découragement, les remettent à
l’honneur en se souciant à la fois de la qualité produite, de l’accueil
du client et de la perception par le consommateur du beau métier qu’ils
exercent.
Pour les jeunes qui démarrent leur activité, qu’ils
sachent que leur regard candide de débutant et leur besoin de se créer
une place au soleil, mais aussi dans la société qui les entoure, leur
donnent toutes les chances de réussir pour autant qu’ils gardent l’envie
et la volonté de leur jeunesse.
Un nouveau petit boulanger qui s’est installé dans ma
bourgade m’a convaincu qu’il y aura toujours une place pour l’artisan et
cela me rend l’avenir moins sombre.
juin 2005
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Une vertu peu connue du
boulanger, la différenciation
Beaucoup de spécialistes en marketing conseillent aux
entreprises de nos régions de pratiquer la différentiation marketing.
En
1960 dans le Havard Business Review, Theodor Levitt, souvent appelé le
père du marketing, publia un article intitulé "Marketing Myopia" qui fit
date et est à l’origine de toute la réflexion marketing.. L’auteur
plaidait en faveur d’un élargissement de la vision des missions que
l’entreprise assume afin de pouvoir profiter au maximum des opportunités
qui se présentent à elle.
Il
soulignait le fait que, contrairement aux apparences, les industries
n’étaient jamais croissantes, car trop souvent elles se contentaient de
répondre à la demande d’un marché dont elles étaient totalement
dépendantes.
Une
entreprise, disait-il, ne pourra survivre que lorsqu’elle cessera de se
conduire en productrice de produits ou de services, pour se considérer
comme étant une acheteuse de clients, par la mise à leur disposition des
articles qu’ils désirent utiliser.
En
exemple, il suggérait notamment d’élargir la vision d’activité pour les
compagnies pétrolières en se considérant comme fournisseuses d’énergie
plutôt que de pétrole et pour Hollywood de passer de l’industrie du
cinéma à celle de divertissement en général pour pouvoir vivre et
survivre. Il définissait ce changement de stratégie comme étant " une
orientation externe plus grande vers l’utilisation, les utilisateurs et
les marchés, en alternative à une vision fixe sur les matières et les
processus de fabrication".
Michael E. Porter, professeur en stratégie marketing et écrivain
américain, explique en 1985 que c’est la différence entre les
concurrents qui permet de réussir dans la conquête du client.
Pour l’auteur, il y a deux stratégies possibles de valeur pour capturer
une clientèle, la guerre des prix ou l’offre d’avantages qui répondent
aux valeurs passionnelles du consommateur. Lorsque je parle de
passionnel, cela signifie que son état affectif et intellectuel
vis-à-vis du produit est tellement violent et puissant qu’il peut se
transformer en pulsion d’achat.
Inutile de souligner que pour les artisans boulangers la première
possibilité n’est pas envisageable face aux grands groupes industriels
et financiers. À ce propos, je rappelle constamment que faire des
promotions sur le prix de vente ne fait que conforter la mauvaise
culture intellectuelle introduite par la politique de prix barré ou
d’appel des grandes surfaces.
Dans le produit, il n’y a pas que le prix qui compte et c’est là que se
place la seule possibilité pour le petit commerçant.
Michael E. Porter disait à ce propos, " Dans une stratégie de
différenciation, la valeur est ce que les clients sont prêts à payer.
Une valeur supérieure par différenciation s'obtient en fournissant des
avantages uniques qui font plus que compenser un prix généralement plus
élevé ".
L’artisan a donc pour obligation de fournir un produit original, sans
aucune commune mesure avec les produits standards existants sur le
marché, pour justifier un prix plus élevé. Il devra établir un rapport
Qualité/Prix, alors que les grands distributeurs jouent sur un rapport
Prix/Qualité. Ce n’est pas du tout la même chose, car dans le premier
cas l’acheteur cherche la meilleure qualité à un prix acceptable alors
que dans le second, il cherche le prix le plus bas en essayant d’avoir
une qualité acceptable.
J’aime à dire, et mes lecteurs le savent, qu’un produit se compose
toujours de deux éléments, ses caractéristiques physiques et ses
caractéristiques perceptuelles.
Les
premières offrent beaucoup de difficultés à offrir une différentiation.
Un
pain, ce n’est jamais que de la farine, de la levure et de l’eau. Par
contre, les secondes offrent une variation infinie de possibilités. Un
pain, c’est aussi une sélection rigoureuse des farines (pourquoi pas
biologiques, puisque le bio est à la mode), un levain artisanal, des
proportions et des compositions uniques, un savoir-faire personnel, une
cuisson sur place, un accueil amical, un environnement familier, etc.
Si
cela est désiré et reconnu, cette différence avec les autres produits
justifie un coût plus élevé puisque le prix de revient est plus élevé
(temps, formation, expérience, recherche, etc.), qu’elle donne un
avantage supplémentaire au client et qu’elle vous privilégie sur vos
concurrents. Il faut savoir que dans la décision d’achat, les
caractéristiques perceptuelles interviennent à plus de 80 %.
Les
chances de réussite de l’artisan boulanger se situent donc le choix
d’une stratégie de différentiation et pourtant, c’est là que réside la
principale faiblesse du métier.
En
effet, le pain ayant toujours été considéré comme l’aliment de base de
notre société, sa production étant soumise à des législations
contraignantes et son prix ayant été longtemps réglementé (sauf pour les
pains dits de fantaisie), le client, mais également le professionnel, a
la sensation qu’il s’agit d’un produit standard et que par conséquent,
sauf exception, il est semblable partout, en goût, en composition, en
poids. La mise à disposition du boulanger de mélanges préétablis de
farines ajoute certainement à cet état d’esprit.
Cette sensation de produit « commun » conduit à la stratégie de combat
sur les prix, là où la grande distribution est avantagée. Pourquoi faire
un détour et pousser la porte d’une boulangerie si c’est pour y trouver
le même produit dans une grande surface en faisant toutes les autres
courses en même temps, sous un même toit et probablement moins cher
(c’est dans l’esprit du client même si parfois ce n’est pas le cas).
En
plus, le boulanger, suite à la libéralisation récente du prix du pain,
se sent mal à l’aise pour augmenter son prix de vente même si cela est
dû à une obligation de rentabilité nécessaire. Il attend avec impatience
que d’autres commencent d’abord pour qu’il puisse suivre, sans encourir
l’indignation du client.
La
seule réponse possible à tous ces problèmes est donc dans la
différentiation. Pourquoi ne pas commencer à créer des fournées
« spéciales maison », qui seraient des pains améliorés par une
différence de composition ou de fabrication ? À ce moment, ce sera au
client de choisir. N’ayez pas peur de mettre des étiquettes portant des
mentions telles que nouveau, fournée spéciale, recette personnelle,
sélection maison, etc. Si le client n’était pas curieux de la nouveauté,
pourquoi tant de marques alimentaires et autres l’afficherait-elle ?
Comme conclusion, je recommanderai donc à chaque boulanger, digne de ce
titre, de considérer désormais qu’il ne fait plus du pain exactement
comme tous ses collègues, mais bien un pain unique, introuvable ailleurs
que chez lui.
Comment peut-on faire passer un tel message dans sa clientèle et
pratiquer ainsi une différentiation salvatrice, sans en être soi-même le
premier convaincu ?
Votre réussite commerciale commencera par l’éveil de votre conviction
intime, non plus d’être un bon boulanger, mais bien le boulanger unique
dont le seul désir est satisfaire tous les sens des ses clients.
mai
2005
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Quand l’on se moque des artisans boulangers !
Bien
que le titre soit provocateur, je pense que l’opération commerciale pain
« Child Focus » qui démarre en ce moment est à la limite de la
correction éthique et marketing.
Qu’en est-il exactement ? Un communiqué de presse commun à Child Focus
et à B2B Management annonce la sortie d’un nouveau pain (c’est à dire un
nouveau mix) sur le marché.
Le
communiqué commence par cette description « Ce pain est vendu au
profit de Child Focus et offre en même temps une opportunité pour
renforcer la notoriété de l’organisation et surtout de son numéro
d’urgence, le 110. L’initiative du pain Child Focus a été prise par les
3 partenaires de l’entreprise B2B Management : un belge, un français et
un américain. Leur motivation était de trouver un moyen pour aider
Child Focus, qui dépend pour la moitié de ses ressources financières du
soutien d’entreprises et du grand public, de façon récurrente.(sic) ».
B2B qu’est-ce
exactement ? Il s’agit d’une sprl (n° entreprise 0473390979 – statuts en
flamand aisément consultables sur le site du Moniteur Belge à l’adresse
« www.ejustice.just.fgov.be/tsv_pub/index_f.htm
» ) qui commercialise le produit dont la marque pain « Child Focus »
aurait été déposée par B2B suite à un accord signé entre les deux
parties, selon les dires au téléphone de Madame Colette Brichaux,
assistante de communication chez Child Focus .
Comment analyser les
faits ? Une société commerciale dont le but essentiel est quand même la
recherche de profits, prend un accord avec une organisation caritative.
Cette dernière accepte l’utilisation de son nom pour la vente d’un
produit dont la communication se fera essentiellement sur son objet
social et recevra en contrepartie un versement financier proportionnel à
la vente, dans le cas présent, 5 centimes d’euros au pain vendu.
Rien d’illégal et donc
de répréhensible mais ... sur le plan des boulangers artisanaux pour
lesquels j’écris ces quelques remarques qui les éclaireront sur
l’attitude qu’il voudront tenir vis-à-vis d’une politique commerciale
agressive (vente du mix par « call center téléphonique » appuyant très
fortement sur le fait que vendre le pain « Child Focus » est une action
charitable à soutenir).
Voyons donc quelques
aspects pratiques.
Sur le plan éthique
Sans vouloir donner
des leçons aux grandes organisations caritatives, je pense que si elles
ont le devoir de chercher des moyens de financement pour leurs activité
de solidarité, il est aussi quelque part gênant à mes yeux de s’insérer
dans la vie économique d’un pays en privilégiant une société productrice
par rapport à ses concurrents qui n’ont pas l’argument caritatif à
opposer pour promotionner le produit, obtenir plus facilement des
communiqués de presse.
Si ce genre de pratique
devait se généraliser, le consommateur « citoyen » mangerait du pain
Child Focus, avec le beurre vendu au profit d’une œuvre s’occupant des
aveugles et la confiture au profit des sourds et malentendants. Un
constructeur automobile pourrait aller plus loin en créant un modèle
« handicapés ». A chaque voiture vendue, une chaise roulante serait
offerte à un handicapé.
J’éprouve des
difficultés à accepter le « Charity business ». Je pense que je suis et
serai toujours solidaire pour une action en faveur de mes concitoyens
mais dégagée de contextes commerciaux. Si l’action est purement
caritative, pourquoi ne pas avoir créé une association sans but
lucratif.
Enfin, s’il s’agissait
d’une opération ponctuelle d’un jour ou d’une semaine mais … le
communiqué commun à B2B et Child Focus dit que « les initiateurs
espèrent vendre en moyenne 90 tonnes de farine par semaine à au moins
4000 points de vente avant fin 2006 ».
Sur le plan
marketing
Là, pour les artisans
se posent plusieurs problèmes.
Lorsque l’on vend un
pain d’une marque déterminée, l’on perd la vente d’un pain que l’on a
élaboré soi-même.
De plus, le pain vendu
fait perdre l’identité de l’artisan puisque cette marque sera disponible
tant en grande surface que dans les points chauds. Pourquoi faire un
détour pour le prendre chez son boulanger habituel alors que on le
trouvera facilement dans une grande surface en faisant ses autres
achats ? Carrefour a déjà publié in-extenso le communiqué sur son site
Internet "www.carrefourbelgium.be/news_01.cfm?lang=fr&News_id=732".
Le danger c’est que
dans la tête du client, instinctivement la différence entre un produit
artisanal et un produit industriel va diminuer avec le temps, puisqu’il
trouve le même produit dans les deux circuits de distribution. Dans ce
cas, il finit toujours par oublier le petit commerce. Déjà cette notion
de ressemblance de produit dans la tête de beaucoup, quel que
soit le point de vente, a entraîné une disparition de nombreux
petits boulangers..
Enfin, j’ai entendu
dire par un des dirigeants de B2B (à l’AG de Union professionnelle de
Boulangers de Verviers) que le pain serait vendu partout à 1,90 euros.
Cela n’est pas mis dans le communiqué et c’est tant mieux pour B2B car,
bien que n’étant pas du métier, je pense que la libéralisation du prix
du pain était chose acquise et que l’entente sur un prix du pain
relevait du cartel.
Sur le plan de
l’image
Décider de ne pas
vendre ce fameux pain pose néanmoins un problème d’image.
Le refuser à un client
désireux de « faire sa bonne action , risque de donner l’impression de
son insensibilité vis à vis d’un problème de société. Le vendre, c’est
devenir quelque part une succursale pour une firme commerciale au
détriment de ses propres affaires.
L’introduction de ce
fameux pain, que l’on accepte ou que l’on rejette, pose donc de toute
façon un problème réel. Comment faire ?
Personnellement, je
ferais ma propre action caritative en affichant dans le magasin la
reproduction d’un virement fait en faveur de Child Focus, ce qui me
permettrait de préciser que le refus de vente n’est pas un refus de
solidarité envers les parents des enfants disparus mais bien le choix
d’un artisan libre de proposer les produits qu’il a choisi de faire et
de créer pour le plus grand plaisir de sa clientèle.
Enfin, ne commettez pas
l’erreur grave d’utiliser le mot « Child Focus » autrement que de cette
manière (j’ai déjà donné). En boulangerie, c’est devenu la propriété
d’une agence de marketing et de distribution, vous risqueriez donc des
poursuites éventuelles.
C’est la conclusion de
cette chronique, l’enfer est pavé de bonnes intentions dit le proverbe,
mais je trouve dommage que le non-marchand prenne des options
marchandes.
avril 2005
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Le commerce de détail obéit aussi aux règles
marketing
Beaucoup de messages des spécialistes en tout genre vont toujours vers
le manufacturier ou le gros distributeur, et les éléments de réflexion
qu’ils donnent, s'adressent rarement au commerce de détail. Pourtant, ce
dernier est partie intégrante de notre société et participe à sa
prospérité.
Écrasé par des grands groupes qui lui font une concurrence impitoyable,
le commerçant local se sent souvent abandonné par les partenaires
économiques. J'ai donc envie de m'adresser à lui pour lui dire que le
marketing peut lui apporter une vision plus large et l'aider dans sa
résistance à la pression constante du marché.
J'ai pu constater que certains principes marketing que je développe dans
le Moniteur étaient appliqués avec succès par certains de ses lecteurs.
Cela prouve suffisamment la volonté et la vitalité des commerçants et
artisans. Dans mes prochaines chroniques, , je vais donc considérer les
théories les plus courantes enseignées et les adapter au commerce de
détail. Car si les boulangers-pâtissiers sont des producteurs autonomes,
les problèmes commerciaux qu’ils rencontrent sont aussi ceux des
détaillants.
Comment débute cette approche ?
Trois
points de réflexions sont souvent peu envisagés par le détaillant qui
s'installe. Commençons par eux puisqu’ils interviennent déjà directement
dans la création de la petite entreprise : le ROI (retour sur
Investissement), la zone de chalandise et le prix de vente du produit.
Le retour sur investissement
Le ROI
(Return On Investment) est une notion bien connue des financiers. En
effet, c'est le principe que chaque franc engagé dans une affaire doive
rapporter un intérêt à celui qui l'avance.
C'est une évidence qui touche rarement le détaillant. En effet, pour
lui, l'argent engagé sert à créer son affaire et celle-ci doit lui
rapporter une rémunération qui lui permette de vivre. C'est en réalité
une notion beaucoup trop simpliste.
En
réalité, trois éléments doivent intervenir dans les rentrées qu'il
attend de son affaire :
I.
L'argent doit rapporter un montant annuel sensiblement égal à ce qu'il
rapporterait s'il était placé correctement dans un établissement
financier.
2.
L'investissement doit être amorti dans un délai raisonnable,
c'est-à-dire que si le commerçant engage 25.000 euros, ceux-ci devraient
être récupérés selon un plan établi. À la date prévue, le commerçant
devra avoir récupéré intégralement sa mise..
3.
L'affaire devrait lui permettre de toucher une rémunération correcte
pour le travail accompli.
J'entends déjà le volontaire à la création d'une entreprise commerciale
me jurer qu'il n'a pas besoin d'un intérêt sur l'argent engagé, ni même
d'un amortissement de l'investissement accepté puisqu'il remettra son
entreprise en fin de carrière professionnelle à un repreneur qui sera
heureux de payer une forte somme pour une affaire florissante et que la
seule chose qu'il demande, est le paiement de son labeur. C'est faire
peu de cas de l'instabilité du commerce actuel. C'est ce sentiment trop
répandu qui cause de véritables drames sociaux dont on parle beaucoup
trop peu. Cela explique un certain nombre de faillites dans nos villes
et la déconfiture de beaucoup de jeunes indépendants.
La zone de chalandise
D'autres causes importantes d'échec sont un mauvais choix de la zone de
chalandise et le manque de flux d’une clientèle potentielle.
Un
commerce ne peut se situer n'importe où, en fonction d'une opportunité
de location ou de reprise. Deux éléments importants vont lui donner des
chances de survivre.
Le
premier est cette fameuse zone de chalandise. C'est le territoire
géographique qui pourra être desservi par le magasin. Plus les articles
choisis seront courants, plus la zone de chalandise sera petite et plus
la population qui la compose devra être suffisante pour le faire vivre.
Personne ne fait cinquante kilomètres pour acheter une boîte de lait.
Par
contre, l'acheteur pourrait faire de nombreux kilomètres pour trouver le
magasin spécialisé qui lui fournira le club de golf dont il rêve.
Précisons que cette zone peut parfois être limitée d'une manière
physique ou morale. Un bon exemple de cette limitation est le cas d'un
village de 1.000 habitants. Le futur commerçant estime que c'est
suffisant pour la rentabilité de son commerce, mais ne se rend pas
compte qu'une autoroute le coupe en deux et qu'une moitié de la
clientèle visée préférera aller au village voisin que de traverser
celle-ci ou de faire de nombreux kilomètres pour la contourner. Il en
est de même pour les cours d’eau ou pour les chemins de fer..
Le
deuxième découle logiquement du premier.
Pour qu'un commerce fonctionne correctement, il doit être vu ou connu.
Il est évident que plus il se situera dans un endroit où le passage de
clients potentiels est élevé, moins il aura à faire d'efforts pour
vendre. Par contre, moins ce passage sera important, plus il devra
dépenser d'argent et de travail pour amener les clients nécessaires à sa
survie et attirer ceux qui ne passent pas normalement par l’endroit
choisi.
Il
est donc important de jauger les flux normaux et habituels de
circulation et d'établir un rapport emplacement/rentabilité.
Le prix de vente du produit
Pour que l’offre du commerçant séduise le client, la gamme de prix des
produits proposés doit correspondre aux réalités économiques de
l’endroit où se situe le point de vente, au pouvoir d’achat de la
clientèle visée et à l’échelle des valeurs qu’elle a dans sa tête par
rapport au produit. Un prix trop bas déplaît à une clientèle aisée, un
prix élevé n’est pas accessible à une clientèle aux finances précaires.
Ce
survol très bref du ROI, de la zone de chalandise et de la détermination
du prix montre que la prudence s'impose lorsque l'on monte une affaire.
Les trois points repris ci-dessus ne sont pas les seuls à envisager.
J'aurai l'occasion de décrire d'autres obstacles à la réussite.
J'aimerais simplement terminer mon propos par une petite fable de mon
cru :
Un
commerçant avait décidé de se lancer dans les affaires avec le meilleur
produit qui soit : une montre en or d’’une grande qualité, au prix
étonnant de 25 euros. Sa vente ne pouvait pas rater et, compte tenu du
prix, il n'était vraiment pas besoin d'investir beaucoup.
Aussi, il acheta une petite table pliante, fit une grande affiche avec
le prix de l'article et s'installa sur la place d’un petit hameau. Mais
après quelques heures de présence où il n’avait pratiquement vu personne
passer devant son éventaire, il décida de déménager son commerce dans
une banlieue où les loyers n'étaient pas trop élevés et la population
nombreuse.
Heureux, il constata que de nombreux passants s'arrêtaient, admiraient
la montre, puis continuaient leur chemin. En effet, la plupart d'entre
eux ne pouvaient se permettre de l’acquérir, même à ce prix.
Après cette nouvelle déconvenue, notre commerçant voulut frapper un
grand coup et déménagea son affaire en plein Faubourg Saint-Honoré, un
des quartiers les plus chics de Paris. L'investissement était énorme,
mais cette fois, il était sûr de battre des records de vente. Il eut
donc l'occasion de voir défiler une clientèle nombreuse et riche devant
sa vitrine, mais personne n’entra dans la boutique pour acheter la
montre.
En
effet, la vente d'une montre en or de cette qualité à ce prix ridicule
ne pouvait être qu’une escroquerie et il fut bien heureux que les
policiers, appelés sur place pour constater le délit, acceptassent de
reconnaître son innocence.
L'importance de l'équilibre dans l’offre
Cette histoire caricaturale vous fera comprendre facilement l'équilibre
très étroit qui doit s'instaurer entre le lieu de vente, le produit
proposé et le prix demandé. C'est un des besoins élémentaires lors de la
création d'un commerce de détail dont il faut absolument tenir compte !
mars 2005
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Comment
mettre en valeur le produit au point de vente
Le
boulanger, le pâtissier, le chocolatier, le confiseur, comme tous les
artisans du monde ont un seul but, indispensable à leur satisfaction :
produire un bon produit, bon dans les deux sens commerciaux du terme
D'une part, il devra correspondre au besoin du consommateur,
c'est-à-dire qu’il sera d’une qualité la plus parfaite possible dans sa
composition et sa fabrication.
D'autre part, il devra correspondre également au désir du consommateur
en lui offrant le goût qu’il apprécie et qu’il s’attend à y trouver.
« Le
marketing, c’est la satisfaction des besoins et de désirs… » a dit
Philip Kötler, celui que l’on surnomme le pape du marketing, mais il
ajoute sur le site de sa société de consultance, « Le marketing
n’est pas l’art de trouver la manière intelligente d’écouler votre
production. C’est l’art de créer une valeur authentique au produit pour
son consommateur ».
Le
produit est destiné à être vendu et il faut pour réussir sa vente qu'il
suscite le désir d'achat et de consommation.
Pour les produits de gourmandise, la vue, l'odorat et le goût sont le
trois sens qui serviront à donner la valeur authentique du produit dont
parle Kötler et qui créeront une tentation entraînant une pulsion
d’achat:.
La vision
La
vision est le premier sens qui va éveiller l'intérêt pour votre produit,
ne fut-ce que par le fait que le regard a une portée assez lointaine.
La tentation se manifeste déjà à l'approche et à la découverte de votre
magasin. Des lieux propres, confortables et spacieux, aérés et bien
éclairés avec un bel étalage et des vitrines d'exposition intérieure
particulièrement soignées, avec une enseigne attractive et la présence
d'un personnel courtois et disponible sont les premiers éléments qui
vont sensibiliser le client et lui donner une image mentale, une
impression positive ou négative, .
Tout entre en ligne de compte:
La décoration intérieure et extérieure du bâtiment
Quand on pense pâtisserie, l’établissement doit offrir une ambiance
douillette et chaude. Des murs aseptisés avec un éclairage blafard ou
violent évoquent plus l'idée d'un hôpital ou d'un laboratoire que d'une
confiserie.
L'étalage extérieur
Les
vitres doivent être d’une propreté et d’une transparence exemplaires et
son éclairage doit être spécialement étudié pour être attractif et non
criard. Cela n'est pas par hasard que l'on emploie le terme bonbonnière
pour certains magasins.
Les
produits exposés doivent être représentatifs de la maison et de la
qualité qu'elle offre. Dans l'absolu, je préfère cent fois une vitrine
sombre avec un spot lumineux sur un piédestal où serait exposé un seul
gâteau particulièrement décoratif et tentant qu'une exposition de
tartelettes ou autres gâteaux posés en rang d’oignons sur des claies en
plastique ou en bois. L’image affreuse d’une production industrielle
d’un produit dit artisanal.
L'étiquetage est également extrêmement important. La mention du prix est
un élément informatif indispensable, mais l'homme de métier a souvent
tendance à oublier de rappeler le nom du produit qu’il expose.
Cela entraîne une grave méconnaissance de la part du client qui ne sait
plus comment s’appelle ce qu’il choisit. C’est une perte de la valeur
authentique. Comment apprécier ce que l’on ne sait même pas nommer.
Cette perte est préjudiciable à la boulangerie, à la pâtisserie, à la
confiserie, à tous ces métiers de bouche qui méritent d’avoir une place
de choix dans la culture gourmande du consommateur, exactement comme la
gastronomie et l’oenophilie.
C'est par le vocabulaire et les concepts que se sont créés les arts du
vin et de la cuisine. Il devrait en être exactement de même pour la
pâtisserie.
Informer le client sur le nom du gâteau, sur ses caractéristiques, sur
le mode de préparation et même, pourquoi pas, sur l'origine de sa
création et son histoire réveillerait un art qui disparaîtra si la
tendance à la standardisation et au manque de passion professionnelle se
poursuit. Pour moi, un fin pâtissier vaut un fin cuisinier.
Les vitrines d'exposition dans le comptoir
Nous retrouverons les principes décrits ci-dessus, à la différence
qu'elles servent au choix du client et que là, l’assortiment le plus
complet possible devra être exposé.
Une
nouvelle fois, assortiment complet ne veut nullement dire présentation
des produits en rangs d'oignons et sans recherche comme dit plus haut.
Ici aussi devra régner l'harmonie en jouant sur les couleurs et les
formes des gâteaux présentés.
Le personnel de vente
Il
doit être aimable, soigné dans sa présentation et doit surtout bien
connaître les produits qu’il propose. Un sommelier doit connaître et
apprécier le vin, un maître d'hôtel doit connaître et apprécier la
gastronomie, de même votre vendeuse doit connaître et apprécier la
pâtisserie.
L'odorat
L'odorat est le sens qui vient en deuxième position, car une bonne odeur
qui se répand est un signal qui attire l'attention et peut faire naître
l'envie.
Une odeur de cuisson peut être agréable au point de faire saliver le
passant.
Une odeur de produit de nettoyage dans un magasin peut couper l'envie
d'achat et donner une image négative du produit.
Le goût
Le
goût est le dernier des trois sens cités et c'est normal. En effet, le
goût n'intervient que très peu dans le processus d'achat.
Il
n'y joue un rôle que sous deux aspects :
*
le premier, sous forme de dégustation. Faire goûter le produit peut
faire naître l'envie d'achat
*
le deuxième, sous forme de rappel. Le client a déjà consommé le produit,
se remémore le plaisir qu’il en a retiré et a une envie puissante de le
retrouver.
Tout ceci souligne l'importance d’une bonne présentation du produit dans
un point de vente qui correspond à l’image mentale qu’il a dans l’esprit
du client.
Certains lecteurs penseront qu’une telle attention n'est possible qu'à
condition d'avoir du temps, des moyens financiers et que de toute façon,
une telle option obligera à une augmentation des prix de vente.
C'est exact. Mais il faut se rappeler que le prix n’est qu’un élément du
« marketing –mix » et que c’est sur celui-là principalement que jouent
les grandes surfaces et les producteurs industriels. Un artisan ne saura
jamais les battre sur ce terrain. Donc, il doit privilégier les autres
éléments que sont le produit, le lieu de vente et le personnel de vente.
Sur
le plan du soin et de l’originalité apportée à sa fabrication, à sa
présentation, et à sa livraison, il pourra se différencier d’une manière
très marquante de ceux fabrique en masse des produits standards.
Je
vous conseille, jour après jour d'améliorer la présentation de votre
production et je vous assure que les efforts que vous aurez consentis ne
seront pas vains. Vous deviendrez fournisseur d'une clientèle qui ne
pourra plus se passer de vous et de votre savoir-faire et qui vous fera
la plus belle des publicités, celle du « bouche à oreille ».
février 2005
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